CECCON, Lorène, compte-rendu : BEAUDE, Boris, Les Fins d’Internet, France : Fyp, 2014, 96 p., dans Azimuts, no 44, WDCTATSTW ; L’ambition du design, Saint-Étienne : ÉSADSE, p. 299

2016

Boris Beaude publie en 2014 aux éditions FYP les fins d’Internet, essai dans la continuité de son précédent livre, Internet, changer l’espace, changer la société, paru en 2012.
À travers cet ouvrage, l’auteur montre comment l’espace mondial globalisé d’Internet, à l’aube de ses trente ans, est fatidiquement voué à s’éteindre.
Il retrace les différentes mutations d’Internet et les problèmes qui s’y développent. Il propose un regard sur les directions divergentes qu’a pris le projet Internet par rapport aux ambitions initiales d’un espace mondial libre, et ce au détriment de la liberté des internautes et de leur vie privée.
Boris Beaude rappelle que si Internet a historiquement su supplanter les autres réseaux de communications et s’imposer comme le modèle de référence d’échanges à l’échelle mondiale, c’est grâce à sa compatibilité avec les différents réseaux, à sa résistance quant à la défaillance des connexions, et à l’avantage d’une structure décentralisée. Car son organisation structurelle, dégroupée, a permis l’émergence d’initiatives publiques, individuelles et associatives. S’accordant avec le concept de déterminisme technologique, Internet a modifié profondément notre lien social.
Or, ces atouts fondamentaux – relatifs à l’équilibre d’Internet – sont menacés. L’espace Internet est devenu territoire. Il se retrouve confronté aux problèmes liés à tout espace politique, tels que l’émergence de problèmes de surveillance, et donc une perte des libertés individuelles. L’auteur soutient que chaque société fait fléchir le réseau mondial pour l’adapter à ses propres intérêts : « en voulant faire du Monde un espace commun pour l’humanité, les pionniers d’Internet ont probablement sous-estimé la faiblesse et la résistante des sociétés qui les constituent » 1. Ce phénomène est observable notamment par la prolifération d’intranets, allant jusqu’à l’échelle gouvernementale, permettant un contrôle des contenus et des individus 2.
De plus, les désirs originaires d’échanges reposant sur la gratuité des contenus ont été détournés au profit d’acteurs privés et de normes propriétaires. Par leurs habitudes de navigations et la livraison de leurs goûts sur les réseaux sociaux, les utilisateurs sont devenus des produits à part entière. La commercialisation de leurs metadonnées servent à alimenter des publicités ciblées. Intrinsèquement, cette surveillance des données, possible grâce à l’utilisation d’algorithmes, représente une menace pour leur vie privée.
Les grands espoirs d’un Internet comme lieu d’expression des libertés individuelles tel qu’il était envisagé par ses pionniers – attachés à une idéologique héritée de la cybernétique – semblent, à travers Les fins d’Internet, à des années lumières de ce qu’il est devenu. Car Internet est constitué de plus en plus de concentrations d’initiatives à titre privé. Aujourd’hui, les grands acteurs du Web comme Google ou Facebook, de par leur hégémonie ou leur hypercentralité, menacent la structure décentralisée première. Leur omniprésence sur le Web suppose qu’ils sont aujourd’hui libres de décider ce qu’il est acceptable de montrer, ce qu’il faut cacher, ce qu’il faut marchander des individus, tout en flirtant avec les législations européennes.
Cependant, pour arriver à réinjecter le potentiel inhérent à Internet, un espoir subsiste : il est l’heure d’ouvrir un débat politique de grande envergure sur ce « seul lieu que l’humanité ait en commun » 3. Cela consistera à accepter que le Monde a changé, et repenser les règles qui gouvernent notre coexistence. Car si Internet disparaît, « une part de notre humanité risque de disparaître avec lui » 4.